Histoire :
Quand ta vie n’est pas un drama.
Japon - Okinawa.22 ans d’existence, avec des hauts et des bas, des questionnements, des surprises accompagnées de déceptions. Tout le monde a son lot dans la vie, certains peut-être plus que d’autres. Je ne peux pas dire que je fais partie de la catégorie des personnes qui ont le plus souffert, hormis si je prends en compte un vide existentiel qui me colle à la peau depuis la naissance.
On m’a dit que j’avais une sœur jumelle mais qu’elle est décédée peu après l’accouchement. Elle avait un prénom : Midori. Mes parents avaient été intelligents, ils ne l’avaient pas nommée à peu près comme moi, de sorte qu’on ne nous confonde pas. Mais ça n’a jamais été le cas puisque j’ai été le seul survivant. Je suis né prématuré, avec cette séquelle qui ne partira jamais, bien que je le veuille. C’est le manque. Le manque de toi, Midori. Vraiment, j’aurais aimé voir si tu me ressemblais beaucoup. J’aurais voulu partager des secrets que seuls les jumeaux peuvent avoir, ce lien-là, fort, fusionnel. Pourtant, je l’ai déjà eu mais je ne m’en souviens plus, ou peut-être juste un peu. Beaucoup. Et puis il y a eu le déni de mes parents.
« Je suis sûre qu’elle serait aussi jolie que ça ! »C’étaient les paroles de ma mère, m’admirant, moi, vêtu d’une robe tel un jouet vivant. J’avais à peu près 3 ans et pourtant, je m’en souviens encore. Elles m’avaient marquées, celles-là. Ce n’était pas la première fois, non. J’avais les cheveux relativement longs, coupés au carré, comme une petite fille. Même si j’avais voulu effacer ce passage de mon enfance, je ne le pouvais à cause des photos qui demeuraient dans la maison familiale. Aujourd’hui, je la fuis. Ce n’est pas normal, n’est-ce pas, de penser qu’on est né dans le mauvais corps ? Mais eux, ils m’avaient laissé miroiter dans un songe éveillé, étrange. Ca n’était pas de leur faute. Je n’étais que Midori dans le corps de Yuuta.
Lors de mon passage en primaire, les choses n’avaient que peu évoluées. Là-bas aussi, on m’avait dit que je ressemblais à une fille mais quoi de plus normal avec une telle coupe de cheveux. Je ne pouvais pas leur en vouloir et puis pour moi, c’était devenu une habitude. J’étais d’ailleurs persuadé d’être de sexe féminin. J’étais juste un peu
différente, c’est tout. Et il y eu cette fois aussi, en classe, lorsque l’on m’a demandé comment je m’appelais. Vous devinez déjà ce que j’ai pu répondre… Midori. J’ai ri, comme un enfant qui avait dit une bêtise. Oh oui, ça avait fait rire les autres aussi. Et je pensais en rester là.
L’adolescence est la pire expérience qui soit. Elle est l’affirmation de soi en tous points. Je savais pertinemment ce qui j’étais mais aussi ce que j’avais en trop. Ma voix avait mué, mon corps se transformait et l’image qui m’était renvoyée me confirmait clairement mon genre. Je le savais pourtant. Mais je ne m’y faisais pas. J’avais peur de grandir, car je savais que le rôle que je jouais ne tiendrait plus car je n’étais pas elle. C’est terrible, maman, ce que tu m’as fait vivre pendant mon enfance. J’ai voulu te le dire à plusieurs reprises mais je n’ai pas osé pour ne pas te voir te briser comme du verre. Pourtant tu as fait le deuil de Midori il y a bien des années, tu n’avais pas eu le choix, après ton suivi psychologique. Pourtant, parfois tu retombais dans l'illusion. Elle est partie, Midori, mais tu sais, elle existe encore tout au fond de mon être car elle fait toujours partie de moi. Il paraît que le lien gémellaire n’est jamais rompu, même si les deux individus n’ont jamais vécu ensemble. Pour moi, c’est sans doute parce que tu m’as trop souvent confondu avec elle, par peur de la perdre une seconde fois. As-tu seulement pensé à ce que j’ai pu ressentir, maman ? Malgré tout, avec le temps, j’ai réussi tant bien que mal à m’accepter en tant que Yuuta et ce, grâce au club de théâtre dans lequel je me suis intégré plus tard mais aussi à mon départ en Corée.
Quand tu répares quelque chose de cassé, il reste encore les fêlures. Tu auras beau essayer de les dissimuler, elles demeureront toujours là. Pour moi, c’est un peu la même chose. Je suis tel que tu peux le voir, un jeune homme de 17 ans, un poil trop silencieux quand il est enfermé dans ses pensées, couchant quelques traits sur une feuille vierge. J’ai l’air impassible, presque dépourvu d’émotions si tu ne te fies qu’à mon visage fermé, un peu trop morne. Mais lorsque tu me vois monter sur scène, l’instant d’une pièce, tu découvres cette autre facette de ma personnalité qui ne s’éveille que lorsque je joue. Tu ne soupçonnais pas un tel sourire de ma part, ni même ces larmes qui embuent mes yeux. Je vibre, tu frissonnes, j’exalte, tu rayonnes, je ris, tu pleures. C’est mon échappatoire éphémère. Et lorsque les lumières s’éteignent, que les douze coups de minuits sonnent, tout disparaît. Comme moi.
Corée - Séoul.Pourquoi la Corée, me direz-vous ? J’avais pourtant ce qu’il fallait au Japon : ma famille, mes connaissances, ceux avec qui je partageais ma passion… Tout. Il me faudrait apprendre la langue, m'adapter au mode de vie, accepter aussi d'être différent mais j’avais envie d’un vent nouveau, de partir, de tirer un trait pour démarrer une nouvelle vie et m’affirmer encore davantage. Cela ne m'effrayait pas car j'avais déjà pris les dispositions nécessaires pour atteindre mon but. La boucle serait bouclée. Peut-être gagnerai-je en notoriété, dans la capitale du succès. Si ça n’était pas le cas, je n’en ferai pas une histoire car au travers de vocation je peux en créer plusieurs, de ces histoires. Je peux m’inventer des vies, être quelqu’un de différent selon les scenarii. C’était cela qui me plaisait, dans la comédie. On s’échappait de la réalité, on n’était jamais le même. C’est un rêve que je chéris encore aujourd’hui et que je veux rendre encore plus vrai chaque jour.
Peut-être que finalement, ma vie est semblable à un long drama dont je ne connais pas encore l'issue.